Lire à deux

De l’importance de lire

On ne peut le répéter trop souvent : éveiller très tôt l’enfant au plaisir de lire constitue une richesse inestimable pour son développement.

Partager quotidiennement avec lui un moment de lecture, c’est d’abord lui permettre de vivre un moment agréable et réconfortant avec son parent (ou toute autre personne significative pour lui), mais c’est aussi lui offrir de précieux outils qui l’aideront à mieux se développer sur les plans intellectuel, socioaffectif, sensoriel, moteur et – ce qui nous intéresse surtout ici – sur le plan langagier.

Aussi peu que quelques minutes de lecture partagée par jour, et ce, dès sa naissance, invite le tout-petit à aborder la lecture d’abord et avant tout comme un jeu. Même s’il ne comprend pas encore ce qu’on lui raconte, il est captivé par cet objet dont on tourne les pages et qui contient toutes ces images colorées, ces petites portes à ouvrir et ces formes à caresser. Il apprécie surtout au plus haut point se laisser porter par la voix réconfortante de son parent, parfois douce, parfois drôle ou encore chantante.

C’est donc dans le plaisir qu’il sera peu à peu amené à aiguiser son sens de l’observation et sa qualité d’écoute, à manipuler des sons, à enrichir son vocabulaire, à comprendre de nouveaux concepts, questions et structures de phrases, à déduire, anticiper, raconter, à identifier des lettres, les faire correspondre à des sons, à décoder des mots, des phrases, puis, ultimement, à être non seulement capable de lire soi-même, mais, aussi, de bien comprendre ce qui est lu et ce qui est sous-entendu.

Autrement dit, une exposition précoce et régulière aux livres et à la lecture, dès la petite enfance – et même avant – contribue positivement à préparer l’enfant pour son entrée éventuelle à l’école en lui procurant les préalables nécessaires à l’apprentissage de la lecture et de l’écriture, des compétences essentielles à la réussite scolaire. ​

*Pour poursuivre la réflexion et pour accéder à de pertinentes ressources concernant le caractère essentiel du livre chez le jeune enfant, un excellent dossier est proposé en ligne par le magazine Naître et grandir.

Plaidoyer en faveur de la lecture interactive

Contrairement à la lecture traditionnelle, où l’adulte lit le texte à l’enfant qui, lui, l’écoute, la lecture interactive donne un rôle actif au tout-petit. Il s’agit d’une lecture qui s’articule à la manière d’un dialogue entre l’adulte et l’apprenti lecteur.

Plusieurs études le démontrent, intégrer la lecture interactive à la routine de l’enfant d’âge préscolaire permet un enrichissement accru de son langage oral et contribue à la mise en place des compétences de littératie précoce, deux composantes nécessaires pour développer de bonnes habiletés en lecture et en écriture.

Le défi, c’est toutefois de savoir COMMENT «dialoguer» avec son enfant tout en lui faisant la lecture!

Voici donc quelques conseils et pistes de réflexion qui serviront à optimiser ce moment partagé avec le tout-petit:

  • 1. Moment et emplacement
    • D’abord, bien choisir son moment et son emplacement: il importe de choisir un moment de la journée oùl’enfant est disposé à s’engager dans une activité de lecture. L’environnement doit être calme et dépourvu d’une surabondance de stimuli.
  • 2. Critères de sélection d’un livre
    • Ni trop long, ni trop court: environ une quinzaine de pages doubles;
    • Le texte ne doit pas non plus être trop imposant – environ 2 à 4 phrases par page;
    • Il est d’autant plus intéressant que le texte se situe à différents endroits au fil des pages et qu’il soit constitués de polices de caractères variées et de différentes grosseurs;
    • Illustrations captivantes et complémentaires au texte; Évidemment, il faut s’assurer que l’enfant y ait accès et puisse les observer et les toucher à sa guise;
    • Le livre doit contenir un vocabulaire riche, un peu plus soutenu que ce que nous offre généralement le langage couramment parlé (ex. scintillant pour brillant; éreinté pour fatigué; crépuscule pour coucher du soleil); Évidemment, on ajuste notre sélection selon l’âge de l’enfant: il doit être en mesure de comprendre l’essentiel du récit.
    • S’il porte sur un thème universel (ex. la famille, les animaux, l’amitié), c’est toujours gagnant;
    • Présenter l’une des structures narratives suivantes (ou les deux!):
      • structure narrative répétitive, ce qui permet à l’enfant de rapidement comprendre le leitmotiv et de se sentir compétent pour anticiper verbalement la suite.
      • structure qui respecte la grammaire classique du récit: on y retrouve clairement une situation initiale (quand, qui, où), un problème, une solution, et un dénouement.
    • * Bien des livres demeurent néanmoins fort intéressants même s’ils ne possèdent pas toutes ces caractéristiques. On peut notamment penser aux imagiers, qui n’ont généralement pas de structure narrative ou de texte continu, mais qui peuvent tout à fait être abordés de manière dialogique avec l’enfant. En ayant toutefois ces critères en tête, votre sélection sera mieux dirigée, selon ce que vous souhaitez stimuler.*
  • 3. À faire avant la lecture auprès de l’enfant
    • Pour optimiser l’expérience, il importe que l’adulte prenne connaissance du livre, de sa structure et de son contenu AVANT d’en faire la lecture avec l’enfant. Plus vous connaissez le livre, plus il vous sera aisé d’émettre au bon moment les questions et commentaires qui sauront engager la réflexion chez l’enfant. Vous connaîtrez aussi les éléments sur lesquels attirer son attention, que ce soit au niveau du texte ou de l’image. Votre lecture sera quant à elle mieux modulée car vous saurez à quel moment ajouter une intonation, une émotion ou une intention particulière.
  • 4. La récurrence, un gage de succès!
    • Ne pas hésiter à revenir régulièrement au même livre. Par souci d’assurer une certaine variété, nous sommes parfois tentés de freiner l’ardeur de l’enfant qui souhaite relire pour la énième fois son livre favori du moment. Or, c’est dans la récurrence que l’enfant saura développer un plus grand sentiment de compétence et qu’il sera éventuellement plus enclin à vouloir participer activement au dialogue et à intervenir de sa propre initiative.
  • 5. Privilégier les commentaires aux questions
    • Éviter la surabondance de questions! Comme dans tout dialogue de qualité, on ne veut pas voir s’établir un rapport de force où, de manière unilatérale, l’un des interlocuteurs pose les questions et où l’autre doit y répondre. Lors d’une lecture interactive…il y a interaction! On favorise donc, pour ce faire, un équilibre entre commentaires et questions. Les commentaires sont en effet souvent plus efficaces pour induire une réaction chez l’enfant. On peut aussi volontairement se tromper à propos d’une information, ce qui amuse généralement le tout-petit, qui prend un malin plaisir à corriger l’adulte.
  • 6. Un enseignement explicite
    • Avoir en tête que l’apprentissage de l’enfant passe d’abord par un enseignement explicite. Avant de vous attendre à ce que l’enfant réponde à vos questions, il importe que vous preniez le temps de lui montrer/expliquer/démontrer le concept en question. Il n’y a pas de mal à «donner les réponses» aux enfants! Si vous expliquez d’abord au tout-petit ce qu’est, par exemple, le sentiment de fierté, que vous faites le pont avec une expérience personnelle où il a pu vivre cette émotion, il risque d’identifier plus facilement que le petit garçon dans l’histoire est «fier», et non simplement «content», et d’en comprendre la cause. De même, avant de désigner dans un livre l’image d’un lion en demandant «c’est quoi» au tout-petit, il est tout à fait adéquat de le nommer vous-même une première fois et de parler des caractéristiques qui le distinguent (ex. animal de la savane, crinière, «roi des animaux», etc.).
  • 7. Le livre, abordé sous ses multiples facettes
    • Porter ses interventions sur divers aspects du livre, tant sur le plan du contenant que du contenu. Pour optimiser l’enrichissement de la compréhension et de l’expression orale chez l’enfant, mais aussi des précurseurs au langage écrit, voici des éléments sur lesquels faire porter les apprentissages lors de la lecture:
      • le vocabulaire (courant et littéraire):
        • on nomme, on décrit et on met en contexte​; plus un mot est soutenu par diverses informations à son propos, plus il sera aisé pour l’enfant de le comprendre et de le réutiliser;
      • les inférences (l’information implicite, qu’on doit déduire); c’est par la production d’inférences qu’on arrive à comprendre une histoire dans toute sa profondeur:
        • ​les lieux;
        • la temporalité (moment de la journée, saison, époque);
        • les liens entre les personnages (famille, amis, ennemi, etc.);
        • les liens de causalité;
        • les émotions / réactions / intentions des personnages;
        • le problème / la solution
        • le dénouement;
        • anticiper la suite;
        • souligner les liens entre les pronoms utilisés et le nom auquel ils sont respectivement associés (ex. «Victoria a un chien. Elle adore les animaux.» Elle = Victoria et non pas le chien parce que c’est un pronom féminin);
        • faire le pont avec les expériences personnelles vécues.
      • la conscience de l’écrit:
        • montrer où est le titre, le nom de l’auteur et de la maison d’édition;​
        • distinguer le texte de l’image et enseigner l’orientation de lecture (de gauche à droite en français) en faisant défiler son doigt sur les mots à mesure qu’ils sont lus;
        • avec les plus petits, enseigner comment se prend un livre, comment en tourner les pages, de gauche à droite
        • nommer certaines lettres aperçues – débuter avec celles qui se trouvent dans le prénom de l’enfant pour capter son intérêt; distinguer les lettres minuscules des majuscules;
        • identifier les frontières de mots créées par les espaces, expliquer que les points servent à compléter une phrase.
      • la conscience phonologique:
        • souligner les mots qui riment ou encore demander à l’enfant de trouver un mot qui rime avec celui qu’on vient de lire;
        • déterminer le nombre de syllabes contenues dans des mots de longueurs variées;
        • identifier le son qu’on entend au début ou à la fin d’un mot
    • *Enfin, plusieurs livres, de par leur contenu et la façon dont ils sont construits, offrent des opportunités de stimulation langagière plus ciblée. Certains, par exemple, favoriseront plus particulièrement l’apprentissage de certains mots-questions alors que d’autres permettront davantage de stimuler la construction de phrases et l’utilisation du langage à des fins plus complexes telles que la description d’images ou la narration. C’est d’ailleurs pour permettre de s’y retrouver plus aisément que le répertoire de livres offert sur ce site a vu le jour! Il faut néanmoins garder en tête qu’il n’y a jamais qu’une seule bonne façon d’utiliser un livre. Il faut rester à l’affût de ce que chacun a à offrir et demeurer créatif. Mais, surtout, l’ingrédient ultime pour une lecture interactive de qualité, c’est…
  • 8. Le PLAISIR!
    • Pour que l’enfant soit intéressé par les livres et qu’il ait envie d’y revenir au fil du temps, le moment de lecture se doit d’en être un de partage et de plaisir. Pour cela, il faut d’abord que l’adulte ait lui-même du plaisir à faire cette activité et à le manifester. Soyez amusant, dynamique, expressif! Jouez les différentes voix des personnages, échangez des regards avec le tout-petit, soyez flexible et laissez-lui l’espace pour poser ses questions, émettre ses commentaires et pour rire. AMUSEZ-VOUS!

Sources:

La lecture interactive enrichie | Lire des histoires au préscolaire pour préparer efficacement les enfants à lire et à écrire à l’école. Formation conçue et dispensée par Pascal Lefebvre, PhD (2015).

Filiatrault-Veilleux, P., Bouchard, C., Trudeau, N., et Desmarais, C. (2015). Inferential comprehension of 3-6 year olds within the context of story grammar: a scoping review. International Journal of Language & Communication Disorders, 50(6), 737-749. 

Lefebvre, P., Bruneau, J. et Desmarais, C. (2012). Analyse conceptuelle de la compréhension inférentielle en petite enfance à partir d’une recension des modèles théoriques. Revue des sciences de l’éducation, 38(3), 533-553.

Mol, S.E., Bus, A. G., De Jong, M. T., & Smeets, D. J. H. (2008). Added Value of Dialogic Parent-Child Book Readings: A Meta-Analysis. Early Education and Development, 19, 7-26. 

Sénéchal, M., Pagan, S., Lever, R., & Ouellette, G. P. (2008). Relations Among the Frequency of Shared Reading and 4-Year-Old Children’s Vocabulary, Morphological and Syntax Comprehension, and Narrative Skills. Early Education and Development, 19(1), 27-44. 

Makdissi, H. et Boisclair, A. (2006). Interactive reading – a context for expanding the expression of causal relations in preschoolers. Written language and litteracy, 9(2), 177-211. 

Copy link
Powered by Social Snap